Le secrétaire à la Défense Donald H. RUMSFELD effectue une visite d'un jour au Tadjikistan où il doit officiellement s'entretenir avec le président Emomali RAKHMONOV et ses ministres de la Défense (Sherali KHAIRULLOEV) et des Affaires étrangères (Talbak NAZAROV) des problématiques de sécurité régionale et du développement.
A l'issue de la rencontre, M. RUMSFELD (Donald H. RUMSFELD, DoD News Briefing with Secretary Rumsfeld and Minister Nazarov from Tajikistan, 10 juillet 2006):
- remercie le régime tadjik pour sa coopération dans la "guerre contre la terreur" (notamment des arrangements "mutuellement bénéfiques": utilisation de l'espace aérien, réapprovisionnement en carburant)
- mais exprime sa préoccupation que l'insurrection taliban -- désormais financée par le narcotrafic (les groupes insurgés taliban protègeraient la culture du pavot en contrepartie d'un financement) sur la route duquel se trouve le Tadjikistan (notamment la route de l'opium: avec 4 613 kg, les prises ont augmenté de 27% au cours du premier trimestre 2006 par rapport à 2005) -- n'entrave la consolidation de la démocratie sur le théâtre afghan
Ce déplacement cinq jours avant l'ouverture du sommet des huit pays les plus industrialisés (G-8) à St Pétersbourg n'était pas inscrit à l'agenda public de M. RUMSFELD.
Ce troisième déplacement au Tadjikistan depuis 2001 (auparavant novembre 2001 puis juillet 2005) est vraisemblablement motivé par le désir de Washington de sécuriser les baux de trois bases militaires (Kurgan-Tyube, Khujand et Kulyab) destinées à compenser la perte de la base aérienne de Karshi-Khanabad (K2) en Ouzbékistan alors que celle de Manas au Kirghizstan est incertaine (unique locataire d'une base aux Etats-Unis par conséquent captifs, le régime exige d'augmenter le loyer) et que le régime tadjik pourrait être tenté de laisser jouer les rivalités entre la Chine, la Russie (plusieurs milliers de militaires russes de la 201ème Division d'infanterie motorisée restent stationnés au Tadjikistan depuis la guerre civile de 1992-7) et les Etats-Unis dans la sous-région jusqu'à satisfaire le plus offrant.
Le 25 août 2005, le parlement ouzbek a confirmé les notifications du président (31 juillet) et du gouvernement (29 juillet) demandant aux Etats-Unis de retirer leurs forces de K2 (au plus tard en février 2006) en représailles à la demande américaine qu'une enquête internationale soit ouverte consécutivement à la répression des manifestations d'Andijan le 13 mai 2005, manifestations que le président Islam KARIMOV impute à la subversion américaine.
Les Etats-Unis occupaient ces trois bases tadjiks lors du déclenchement de l'Opération Enduring Freedom (OEF) en octobre 2002 et souhaitent les réoccuper car elles sont stratégiquement situées, proches de l'Afghanistan (OEF) ou de la vallée de Fergana (axe de pénétration vers l'Ouzbékistan). D'autant que, membre de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) et de l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), le Tadjikistan occupe lui-même une position stratégique en Asie centrale qui permet d'actionner plusieurs leviers de pression sur les voisins:
- chinois (il est mitoyen d'une région chinoise instable où le régime de Pékin n'exerce qu'une faible emprise territoriale)
- russe (mitoyen de la Russie avec laquelle la relation des Etats-Unis se dégrade)
- et iranien (proche de l'Iran au moment où la crise nucléaire atteint son paroxysme)
Ce déplacement s'effectue dans le cadre plus large d'un "grand jeu" dans la région alors que la politique étrangère russe a pour priorité de restaurer l'influence de Moscou en Asie centrale en contre-confinant la présence américaine via l'OTSC (créée en mai 2002 et regroupant l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Khirgizstan, la Russie et le Tadjikistan) et d'éventuelles forces de maintien de la paix. Non seulement la présence militaire russe a été renforcée en Asie centrale mais encore l'OTSC joue un rôle croissant dans les problématiques de sécurité centro-asiatiques:
- renforcement récent de la présence militaire russe en Asie centrale:
- octobre 2003: la Russie établit sa première base militaire (20 avions militaires et 500 militaires) dans l'espace post-soviétique à Kant au Kirghizstan (à 30 km de la base aérienne de Manas utilisée par les Etats-Unis)
- novembre 2003: la Russie renforce sa coopération de sécurité avec l'Ouzbékistan
- juin 2004: la Russie signe un Traité de Coopération Stratégique avec l'Ouzbékistan (chacun accorde le droit d'utiliser ses installations militaires sur son territoire, emploi conjoint des défenses aériennes, création d'un Institut conjoint de l'anti-terrorisme, assistance militaire -- vente d'armes et entraînement militaire); la Russie s'assure par ailleurs un accès continue à plusieurs installations militaires tadjiks
- septembre 2005: la Russie et l'Ouzbékistan conduisent leur premier exercice militaire bilatéral depuis 1991
- octobre 2005: la Russie s'accorde avec le Tadjikistan pour établir une nouvelle base aérienne à Ayni près de la capitale (Douchanbe)
- novembre 2005: la Russie et l'Ouzbékistan signent un Traité sur les Relations Alliées
- consolidation récente du rôle de l'OTSC dans les problématiques de sécurité centro-asiatiques:
- depuis octobre 2002, l'OTSC s'efforce de nouer des liens formels avec l'OTAN
- décembre 2004: l'OTSC obtient le statut d'observateur à l'Assemblée Générale des Nations Unies
- juin 2005: les six Etats membres signent un accord promouvant l'entraînement militaire conjoint
- décembre 2005: les six Etats membres s'entendent pour coordonner leurs programmes de défense en matière de sécurité nucléaire, biologique et chimique contre des attaques terroristes