Les entretiens prévus entre le secrétaire d'Etat Condoleezza RICE et les ministres israéliens des Affaires étrangères et de la Défense sont interrompus puis ajournés après que l'aviation israélienne a frappé le village sud-libanais de Cana, tuant 54 personnes dont 37 enfants. Le coût politique induit par l'opération militaire israélienne (son principal impact réside dans l'érosion du soutien des opinions publiques -- libanaise, arabo-musulmane, internationale mais peut-être aussi américaine voire israélienne -- à la campagne militaire israélienne contre le Hezbollah au Liban) annonce certainement un tournant de la crise israélo-libanaise dans la mesure où l'administration américaine devrait réviser le contenu de son offre de médiation à l'aune de l'environnement moins permissif qui prévaut désormais.
Au lendemain d'une rencontre (seconde en une semaine) avec le premier ministre israélien Ehud OLMERT (29 juillet), Mme RICE devait s'entretenir avec les ministres israéliens des Affaires étrangèrs et de la Défense (respectivement Tzipi LIVNI et Amir PERETZ) du projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) visant -- sur le fondement juridique du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (lequel autorise le recours à la force armée):
- l'arrêt immédiat des combats entre Israël et la milice chiite libanaise du Hezbollah
- le désarmement de ce dernier et l'intégration des miliciens au sein de l'armée nationale libanaise
- l'établissement d'une force multinationale (comprenant entre 15 et 20 000 militaires) mandatée afin d'appuyer l'armée libanaise pour maintenir la paix dans la zone tampon du sud-Liban entre la rivière Litani et la frontière libano-israélienne
- et l'élaboration d'un plan international pour la reconstruction du Liban
Le 29 juillet, au motif que des couloirs humanitaires sont d'ores et déjà ouverts, le gouvernement israélien avait rejeté la demande du coordinateur de l'assistance d'urgence des Nations Unies, Jan EGELAND, appelant à une trêve de 72 heures afin d'acheminer l'aide humanitaire et évacuer les populations civiles à risque (personnes en bas âge, âgées ou blessées). Le même jour sur la chaîne de télévision partisane Al-Manar, le commandant du Hezbollah, cheikh Hassan NASRALLAH, avait assimilé le retrait des Forces Israéliennes de Défense (IDF pour Israeli Defense Forces) de la ville libanaise de Bint Jbail, plus les pourparlers en cours pour la résolution des hostilités armées et la popularité croissante subséquente de la milice chiite, à une victoire du mouvement (une "sérieuse défaite" d'Israël). Il avait menacé pour la première fois de cibler les villes du centre d'Israël.
Les demandes des parties pour la cessation des hostilités étaient les suivantes:
- pour la partie libanaise:
- un cessez-le-feu immédiat
- un échange de prisonniers
- la récupération de la zone litigieuse des fermes de Shebaa (revendiquée par le Liban mais régulièrement rattachée depuis 1967 par les Nations Unies au plateau syrien du Golan)
- et la cartographie des champs de mines israéliens au sud-Liban
- pour la partie israélienne:
- la libération des deux militaires des IDF enlevés le 12 juillet 2006
- et la conservation du contrôle de la zone litigieuse des fermes de Shebaa
Trois difficultés demeuraient toutefois (Robin WRIGHT, "Returning to Old Approach, U.S. Faces Risky Path Ahead", The Washington Post, 30 juillet 2006):
- d'abord l'intérêt du Hezbollah à transiger pour un cessez-le-feu diminuait à mesure qu'il mobilisait les majorités sunnites de la plupart des pays arabes et que s'enracinait la perception de sa victoire dans l'espace arabo-musulman
- ensuite la durabilité du cessez-le-feu restait conditionnée à la participation (au moins indirecte) de la Syrie et de l'Iran aux négociations
- enfin le déploiement d'une force multinationale de maintien de la paix au sud-Liban comportait le risque d'une perception d'illégitimité puis d'un rejet 24 ans après l'intervention faillie d'une force multinationale composée de militaires américains, britanniques, français et italiens
Si les considérations ci-dessus évoquées ne sont pas frappées d'obsolescence, le bombardement aérien israélien contre le village du sud-Liban de Cana constitue un tournant de la crise israélo-libanaise car son coût politique contraint l'administration américaine à réviser le contenu de son offre de médiation.
Qualifiant l'attaque de "crime haineux [...] des criminels de guerre israéliens" puis de "terrorisme d'Etat", le premier ministre libanais Fouad SINIORA conditionne rapidement la visite de Mme RICE prévue à Beyrouth à l'application d'un cessez-le-feu "immédiat" et "inconditionnel"; sur la chaîne de télévision CBS ("Face the Nation"), il s'adresse ensuite au "peuple américain" -- notamment aux "mères américaines" -- en l'exhortant à se mobiliser pour la paix "contre la machine de guerre la plus sophistiquée" qu'est selon lui l'armée israélienne puis affirme que son gouvernement est prêt à exercer sa souveraineté sur l'ensemble du territoire libanais, y compris la zone des fermes de Shebaa -- dont l'occupation depuis 1967 lui apparaît la véritable source des frictions israélo-libanaises. Or, si elle fait part de la "désolation" des Etats-Unis, réaffirme leur "forte préoccupation" concernant "l'impact" des attaques d'Israël contre des cibles civiles libanaises et estime que le temps du cessez-le-feu est venu, Mme RICE continue de privilégier la durabilité à l'immédiateté du cessez-le-feu ou de la paix (ce qui induit de changer le statu quo ante bellum) et souligne la difficulté de la guerre de guérilla urbaine, confirmant par-là même l'ajournement de sa visite (Condoleezza RICE, Briefing on Efforts To Stop Violence in Lebanon, Jérusalem, 30 juillet 2006).
Les acteurs internationaux (étatiques ou non) condamnent dans leur majorité l'opération, réagissant diversement par une demande de désescalade (les acteurs étatiques) ou d'escalade (les acteurs non étatiques -- le Hamas et le Hezbollah). La Jordanie, la France et l'Egypte condamnent une action respectivement qualifiée de "criminelle", "injustifiée" et "irresponsable" et exigent un cessez-le-feu immédiat. Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr MOUSSA, évoque un "massacre" ('pire que le barbarisme" lorsqu'il s'agit d'enfants) et réclame l'ouverture d'une enquête internationale A l'occasion de la réunion d'urgence à huit-clos du CSNU qu'il a convoquée sur la situation libanaise, et avec le soutien de M. SINIORA, le secrétaire général des Nations Unies Kofi ANNAN exhorte les membres du Conseil à "agir, et agir maintenant" pour la région mais aussi par égard pour la pertinence de l'action de l'ONU; M. ANNAN est chargé par les membres du CSNU de présenter un rapport sur les circonstances de l'attaque de Cana au cours de la première semaine d'août.
De leur côté, si les IDF redynamisent la campagne "juste récompense" en ouvrant un nouveau front à 25 km au nord-est de Maroun al-Ras -- amorçant probablement une manoeuvre en direction de la vallée de la Bekaa dans les prochaines 24 heures --, le porte-parole de la Maison-Blanche Tony SNOW confirme la suspension des frappes aériennes israéliennes sur le Liban-sud pendant 48 heures sous réserve de la préemption d'une attaque imminente (Tony SNOW, Press Gaggle by Tony Snow, Aboard Air Force One, En route Miami, Floride, 30 juillet 2006). Sur la chaîne de télévision CBS ("Face the Nation"), le vice-premier ministre israélien Shimon PERES accuse le Hezbollah d'avoir sciemment provoqué ces pertes humaines civiles libanaises en se dissimulant au sein d'une population captive puis se demande quel est l'état final recherché politiquement par le Hezbollah par le déclenchement puis l'alimentation de la crise.