En lançant sans l'avertissement protocolaire une série de six missiles couvrant le spectre des portées (courte avec deux missiles de la classe Scud -- B et C -- d'une portée de 300 à 500 km puis longue avec un missile Taepodong-2 d'une portée de 3 500 à 4 300 km et enfin intermédiaire avec trois missiles Rodong d'une portée de 1 000 à 1 400 km), le régime nord-coréen confirme la reprise de ses tests de missile à longue portée ainsi que sa capacité de nuisance potentielle (non seulement plusieurs armes nucléaires mais encore plusieurs vecteurs), même si le test du missile balistique intercontinental Taepodong-2 s'avère négatif (échec en phase de propulsion 35 secondes après son lancement).
La Corée du nord était réputée depuis le 18 juin 2006 s'apprêter à tester un missile à longue portée Taepodong-2 (missile de 35 mètres dont la portée est comprise entre 3 500 et 4 300 km) depuis le site de lancement de Musudan-ri dans le nord-est du pays. Déjà assemblé, le missile se trouvait sur le pas de tir, ses réservoirs approvisionnés en carburant liquide (procédure quasi-irréversible tant il est difficile de vider des réservoirs qu'au demeurant la présence de carburant au-delà de 48 heures endommage) tandis que la fenêtre d'opportunité climatique (avant la mousson) était étroite (de l'ordre de quelques jours).
Il s'agit du plus important test de missiles balistiques de l'histoire nord-coréenne, devant celui de trois missiles de la classe Scud (B et C) et d'un No Dong en mai 1993. Les missiles à courte portée précédant celui à longue portée ont eu pour rôle de déjouer (leurres) l'éventuelle défense anti-missile américaine et/ou japonaise. Les six missiles s'abîment finalement en mer du Japon tandis que le ministre nord-coréen des Affaires étrangères, Lee Byong DOK, estime que cette "question de souveraineté nationale" ne saurait être jugée par la communauté internationale.
Certes, ces multiples lancements (5 juillet heure locale mais 4 juillet heure américaine, coïncidant avec la célébration de l'Indépendance et le lancement d'une navette spatiale de Cape Canaveral) concrétisent les craintes de la communauté internationale en général, des Etats-Unis et du Japon en particulier à l'égard des capacités nord-coréennes. Après avoir qualifié les multiples lancements de "grave problème" non seulement pour la sécurité nationale nippone mais aussi pour la paix et la sécurité internationales ainsi que la non-prolifération des armes de destruction massive, le directeur de cabinet du premier ministre japonais également porte-parole du gouvernement, Shinzo ABE, annonce ainsi que le Japon proteste et envisage de demander une réunion d'urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies; le ministre japonais des Affaires étrangères, Taro ASO, ajoute que le Japon pourrait imposer des sanctions économiques (notamment l'interdiction pour les navires nord-coréens d'accéder aux portes japonais).
Mais, dans le même temps, cette gesticulation militaire isole le régime nord-coréen en dégradant les relations bilatérales avec ses principaux soutiens -- la Chine (dont l'influence à l'égard du régime de Pyongyang ressort érodée) et la Corée du sud (dont l'aide financière et alimentaire au titre de la solidarité inter-coréenne ressort délégitimée)-- alors que l'échec du test du Tapeodong-2 hypothèque les capacités nord-coréennes et aggrave les difficultés internes au régime tout en évitant aux Etats-Unis de confronter et leur système de défense anti-missile et leur détermination à l'épreuve des faits. Le Commandement militaire américain Nord (U.S. Northern Command) considère par conséquent que ces tests ne posent "aucune menace immédiate pour les Etats-Unis" tandis que la Maison-Blanche souligne plutôt l'échec du test du Taepodong-2 après l'avoir condamné comme un acte de provocation et réaffirme son engagement pour une "solution diplomatique pacifique" (WHITE HOUSE, Statement on North Korea Missile Launches, 4 juillet 2006; Tony SNOW, Press Briefing on North Korea Missile Launch, 4 juillet 2006).
Alors que les Six-Party Talks (SPT) sur son programme nucléaire se trouvaient dans une impasse, la Corée du nord a déclaré en mars 2005 ne plus être liée par le moratoire sur les tests de missiles à longue portée qu'elle s'était imposé le 13 septembre 1999 consécutivement à la crise du 31 août 1998 (un missile Taepodong-1 avait survolé le Japon), puis avait confirmé en 2001 et 2002, et a procédé aux tests de plusieurs missiles à courte portée.
Le régime nord-coréen a suspendu en novembre 2005 sa participation aux SPT (lesquels regroupent Etats-Unis, Corée du nord, Corée du sud, Chine, Japon et Russie en vue du démantèlement complet, vérifiable et irréversible des programmes et installations nucléaires nord-coréens) consécutivement à l'imposition de sanctions économiques prises par les Etats-Unis en septembre 2005 -- contre une banque (Macau Bank) et huit entreprises nord-coréennes officiellement accusées de contrefaçon, blanchiment d'argent et trafic de drogue -- et perçues comme visant à l'isoler. Depuis, en dépit de la déclaration conjointe du 19 septembre 2005, la Corée du nord conditionne la reprise des pourparlers au retrait des sanctions tandis que les Etats-Unis maintiennent un découplage entre les SPT et les sanctions économiques, exhortant la puissance nucléaire de facto à renouer sans pré-conditions le fil de la négociation.
La reprise des tests de missiles à longue portée par le régime nord-coréen s'inscrit dans la continuité de trois précédents coups de force ayant vocation à démontrer sa capacité de nuisance potentielle:
- d'abord l'admission de la poursuite d'un programme nucléaire en 2002 et l'éviction des inspecteurs de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA)
- ensuite le retrait du Traité de Non Prolifération nucléaire en 2003
- enfin la proclamation d'une capacité nucléaire militaire en 2005
La Corée du nord est motivée par la démonstration de sa capacité de nuisance potentielle en vue de trois objectifs:
- pré-conditionner la reprise des SPT
- sanctuariser le territoire national
- et bénéficier du même traitement que l'Iran -- perçu comme favorable -- de la part de la communauté internationale
Outre la dégradation de l'alliance entre les Etats-Unis et la Corée du sud, son but reste la formalisation de négociations directes avec les premiers en vue d'un accord bilatéral par lequel elle renoncerait à ses programmes missiliers en contrepartie d'une normalisation des relations diplomatiques bilatérales (signature d'un traité de paix -- en remplacement de l'actuelle paix armée -- mettant techniquement fin à la guerre de Corée 1950-3), de garanties de sécurité (assurance contre un changement de régime) et d'aides diverses (énergétique, alimentaire et commerciale).
Dans l'histoire nord-coréenne récente (Kim IL SUNG en 1994, Kim JONG IL depuis 2003), la crise apparaît finalement comme l'instrument d'action que le régime nord-coréen privilégie (avec la menace de son propre effondrement) afin de focaliser l'attention de la communauté internationale (principalement celle des Etats-Unis et du Japon) et obtenir la satisfaction par celle-ci de certains besoins (principalement de la part de la Corée du sud -- "Sunshine Policy").
Si l'impact de cette crise des missiles nord-coréen devra être jaugé à l'aune du repositionnement de chacune des parties aux SPT, elle pourrait infléchir les politiques des Etats-Unis et du Japon à l'égard de la Corée du nord de manière contre-productive pour le régime de Pyongyang en renforçant au sein des deux administrations les promoteurs d'une ligne dure pour que la Corée du nord réintègre les SPT (imposition de sanctions).
Au Japon, cette crise pourrait:
- accélérer la modernisation militaire des Forces d'Auto-Défense avant qu'une révision de l'article 9 de la Constitution de 1947 n'intervienne
- favoriser le porte-parole du gouvernement, Shinzo ABE, également candidat à la succession du premier ministre Junichiro KOIZUMI en septembre 2006, plutôt que son rival modéré Yasuo FUKUDA